« Lorsqu’un agent fait l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, l’administration doit lui communiquer les procès-verbaux des personnes entendues dans le cadre d’une enquête administrative, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, sauf si cette communication est de nature à porter gravement préjudice aux témoins. » Analyse du Conseil d’État – Décision du 5 février 2020, n°433130 publiée au recueil Lebon

Cet arrêt permet de questionner l’étendue de l’application de l’article 65 de la Loi du 22 avril 1905 au terme duquel :

« Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d’être l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’un déplacement d’office, soit avant d’être retardé dans leur avancement à l’ancienneté. »

En l’espèce, un agent avait été nommé directeur de l’ Établissement National des Invalides de la Marine par un décret du 8 décembre 2016 et pour une durée de trois ans.
Après que des signalements ont fait état de ce que des situations pouvant constituer des faits de harcèlement à l’encontre de certains membres du personnel de cet établissement étaient reprochés à cet agent, les Ministres de tutelle de cet établissement ont confié à l’Inspection Générale des Affaires Sociales et au Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable une mission d’enquête administrative sur la manière dont l’intéressé assurait la direction de l’établissement.
Le rapport de la mission d’inspection, a recommandé qu’il soit mis fin aux fonctions de cet agent. Ce dernier a formé une requête pour demander l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 mai 2019 ayant mis fin à ses fonctions.


Le Conseil d’État a rappelé qu’en vertu de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, un agent public qui fait l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même d’obtenir communication de son dossier.

Dans l’hypothèse soumise au Conseil d’État, la décision de mettre fin aux fonctions de l’agent requérant avait été prise au vu du rapport d’inspection, qui avait écarté l’imputation à l’intéressé de faits de harcèlement sexuel à l’origine de l’enquête administrative, mais avait cependant fait état d’un comportement et d’un mode de direction ayant causé des difficultés parfois graves à plusieurs agents de l’établissement et avait finalement préconisé le départ de l’intéressé, regardé comme nécessaire pour engager au plus tôt les mesures permettant de rétablir le bon fonctionnement de l’établissement.
Dans ces conditions, le Conseil d’État estime que la décision de mettre fin aux fonctions de l’agent ayant été prise, à la suite de ce rapport, en considération de son comportement, devait être précédée de la formalité instituée par l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, quand bien même elle a eu pour seul objet de veiller à l’intérêt du service.

Par ailleurs dans cette affaire, après avoir été destinataire, le 9 avril 2019, du rapport d’inspection, l’agent avait été informé par un courrier du 23 avril 2019 émanant de la Directrice de la Sécurité Sociale du Ministère des Solidarités et de la Santé et du Directeur des Affaires Maritimes du Ministère de la Transition Écologique et Solidaire qu’il allait être proposé au Président de la République de mettre fin à ses fonctions de Directeur de l’ Établissement National des Invalides de la Marine et qu’il avait la possibilité de consulter son dossier administratif et de formuler des observations.
L’intéressé a alors consulté son dossier administratif le 16 mai 2019 et présenté des observations par une lettre du 23 mai 2019.
Cependant, ni son dossier administratif ni le rapport d’inspection qui lui avait été communiqué ne comprenaient les cinquante-cinq procès-verbaux d’audition des agents de l’Établissement National des Invalides de la Marine établis dans le cadre de la mission d’enquête administrative.
La demande de l’intéressé tendant à recevoir communication de ces pièces a, par la suite, fait l’objet d’une décision de refus.

Le Conseil d’État juge que dans ces conditions, l’agent requérant, qui n’a, ainsi, pas reçu communication de l’ensemble des pièces qu’il était en droit d’obtenir, en vertu de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, préalablement à l’intervention de la décision ayant mis fin à ses fonctions, est fondé à soutenir que cette décision a été prise au terme d’une procédure irrégulière et qu’il est par conséquent fondé à demander l’annulation pour excès de pouvoir du décret qui a mis fin à ces fonctions.

Ainsi, « Lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. »

Par cette décision, le Conseil d’État protège à la fois les intérêts de l’agent mis en cause et les intérêts des personnes qui ont témoigné : en pratique, pour refuser la communication des procès-verbaux des auditions des témoins à l’agent objet de l’enquête, l’administration doit motiver sa décision sur le fondement du caractère gravement préjudiciable que cette communication pourrait entraîner pour les personnes qui ont témoigné.